jeudi 27 mai 2010

Encore des interactions


Je ne comprends pas Henri Grivois quand il prétend suspendre le déroulement de la psychose naissante, empêcher le patient d’entrer dans le délire. Comment peut-on imaginer pouvoir freiner un processus aussi puissant ? Autant prétendre empêcher le torrent de lave de jaillir du volcan !

L’idée de génie de Grivois, c’est quand même que la psychose révèle, en le détraquant, un mécanisme fondamental à l’œuvre dans le fonctionnement de tout être humain en tant qu’être social, ce qu’il appelle l’hypermimétisme.

Etre ensemble suppose, sans qu’on en ait la moindre conscience, la régulation constante et infiniment subtile des micro-comportements qui régissent nos relations avec autrui. Cette fonction nous permet de nous sentir en réciprocité avec les autres tout en restant sujets de nos actions, à la fois semblables et différents.

Cette « réciprocité intersubjective » est régulée de manière interindividuelle sans que les individus qui en sont partie prenante en aient conscience et sans qu’ils aient les moyens de distinguer la part prise par chacun d’entre eux dans le mécanisme. Elle fait intervenir des processus sensoriels et moteurs infinitésimaux dont nul ne peut se dire l’auteur et qui anticipent largement la décision consciente d’agir.

Pour Grivois, la psychose consiste en un dérèglement de cette fonction hypermimétique, ce qui entraîne tout à coup un rapport de dépendance motrice entre soi et les autres.

Il en découle que la psychose n’est plus la production exclusive du sujet mais, au contraire, qu’elle naît au moins en partie en dehors du sujet.

A la réciprocité intersubjective se substitue soudain l’indifférenciation subjective ; tout en gardant son identité, le psychotique devient tous les autres, devient l’espèce humaine, devient le résultat de tout le monde. La plupart du temps, saisi par ce qu’il ressent à ce moment-là, il garde le silence, conscient qu’il ne pourra exprimer que des énormités.

Ce qu’il éprouve alors dépasse en effet l’entendement.

L’emballement hypermimétique finit par trouver son point de chute dans le délire ; le sujet devient, au grand bonheur des descendants de Philippe Pinel, officiellement fou, c’est-à-dire officiellement malade, accessible aux cures de sommeil et de neuroleptiques. Il construit un délire stéréotypé par lequel il s’attribue des pouvoirs supérieurs ou des qualités divines et qui focalise l’intérêt des psychiatres.

Henri Grivois observe que l’épisode est, dans de nombreux cas, le symptôme d’un processus qui, au fil des ans, va conduire le sujet à perdre peu à peu son autonomie et à se désocialiser par des comportements de plus en plus insolites et puérils.

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