lundi 29 mars 2010

Un nouveau pensionnaire




(dessin de Robert Crumb : The little guy that lives inside my brain)


Richard a été admis dans la nuit après avoir tenté de se défenestrer. Il a été placé sous lithium et n’a pas quitté sa chambre, la numéro 7, de toute la journée; nous n’avons pu le rencontrer qu’au moment du dîner.

En l’apercevant pour la première fois au bout de la table ôtant la cellophane de sa barquette de légumes, j’ai ressenti une impression étrange et inhabituelle, comme s’il était là depuis toujours, comme s’il était parmi nous depuis le début et que je ne l’avais tout simplement pas remarqué. Je me suis même penché discrètement vers Laureline afin qu’elle me confirme son heure d’arrivée.
C’est peut-être pour surmonter un peu mon malaise que j’ai engagé la conversation dès le repas terminé.
En apparence, homme banal, histoire banale. Il esquisse par politesse quelques sourires bravaches mais encore sous le coup des heures qu’il vient de vivre, il est réellement mort d’angoisse, suicidaire et semble vouloir faire un bilan très négatif d’une vie que je reconstituerai peu à peu. Il semble sans âge mais n'a sans doute pas dépassé quarante ans.

Enfant douillet et asthmatique, issu d’un père maladif et constamment réfugié dans son travail de cadre d’entreprise, d’une mère un peu trop inquiète et possessive, il a eu semble-t-il une enfance heureuse mais trop protégée pendant laquelle il ne sortait pas, ne pratiquait aucun sport, consacrait tout son temps à des activités scolaires. Empoté et timide, il a vécu une adolescence assez tourmentée, marquée par des troubles obsessionnels compulsifs qui l’isolaient et renforçaient son introversion.
Comme il se sentait doué pour la réflexion et les abstractions et qu'il se destinait vaguement à l'enseignement, il s'obstina  dans des études qui  n’en finirent pas car il fut bien vite en butte à des inhibitions qui croissaient à mesure qu'il s'obstinait. D'autres jeunes gens, à sa place, auraient calmé leurs contradictions par de lointains voyages ou par d'autres apprentissages, lui ne sut pendant des années que se cloitrer dans une chambre d'étudiant, s'inscrivant à des examens qu'il ne préparait pas, alternant périodes de désespoir et d'exaltation,  calmant ses angoisses par des séances de cinéma, remettant chaque jour les choses sérieuses au lendemain. Sa vie sociale était réduite au minimum, contrecarrée par ses angoisses et ses rituels ; par exemple, il pouvait passer des heures à nettoyer chaque recoin de sa chambre, et cela plusieurs jours de suite,  jusqu’à se priver de sommeil. Parfois, n’en pouvant plus, pour échapper à cet asservissement psychique, il préférait dormir dans un jardin public que rentrer chez lui, ce qui lui valut quelques mésaventures avec la police.
Les jeunes femmes qui s’intéressaient à lui étaient vite découragées par son côté sombre et ses étrangetés. Lorsque lui-même manifestait de l’intérêt pour l’une d’elles, il se débrouillait pour se rendre suffisamment ridicule à ses yeux pour saboter d’emblée la relation; il tient à me raconter avec une sorte de satisfaction masochiste comment il  poursuivit de ses assiduités pendant de longs mois, jusqu’à tomber dans le grotesque et le scandale, une étudiante qu’il aurait pu séduire en toute tranquillité s’il s’y était pris normalement.
Son évolution psychologique le poussait régulièrement à adopter en public des attitudes ridicules et à rechercher des situations gênantes, voire scabreuses.
 Régulièrement découragé par le vide qu'il sentait en lui, passant de plus en plus sur le campus pour un fou   à cause de son impudeur et de ses étranges troubles du comportement qui pouvaient susciter le scandale,   il se mit à éviter les contacts comme un vrai misanthrope.
Incapable de venir à bout de ses études, il traversa  quelques années d’errance professionnelle, puis finit par se contenter  d’un emploi sans relief et faiblement rémunéré dans une administration grise qui eut le mérite de lui permettre une certaine stabilité mais qui ne lui  inspire que des désirs d’évasion.



Il ne parvient sporadiquement à oublier toute cette médiocrité que par sa passion pour la peinture et ses incursions régulières au Louvre.
Il semble intarissable sur les pathologies de la vie de bureau et leur violence méconnue.
Car ses rigidités et ses bizarreries comportementales n’ont jamais complètement cessé et  ont fini par lui valoir la méfiance de ses collègues et peu à peu, au fil des ans, l’ont rendu de plus en plus solitaire, lent, incompétent et aigri. C’est comme s’il s’était peu à peu figé en concrétisant dans une existence étriquée et sans émotions les leçons d’une éducation étouffante et surprotégée.

Il s'est lentement emmuré dans des automatismes qui transforment peu à peu son existence en une suite de mésaventures atroces.
Il me laisse entendre avec un sourire fatigué que ses supérieurs l’ont récemment fortement incité à prendre un arrêt prolongé après qu’il eût agressé un collègue de bureau qu’il soupçonnait de répandre des calomnies à son sujet et d’organiser une cabale contre lui.
Derrière son histoire de terreur et de désespoir, je perçois chez lui une rage intérieure effrayante.

dimanche 21 mars 2010

Cambodia




When he was Thailand based
She was an nervous wife
He used to fly week-ends
It was the easy life
But then it turned around
And he began to change
She didn't wonder then
She didn't think it strange
But then he got a call
He had to leave that night
He couldn't say too much
But it would be alright
He didn't need to pack
They'd meet the next night
He had a job to do
Flying to Cambodia

And as the nights passed by
She tried to trace the past
The way he used to look
The way he used to laugh
I guess she'll never know
What got inside his soul
She couldn't make it out
She couldn't take it all
He had the saddest eyes
The girl had ever seen
He used to cry some nights
As though he lived a dream
And as she held him close
He used to search her face
As though she knew the truth
Lost inside Cambodia

But then a call came through
They said he'd soon be home
She had to pack a case
And they would make a rendez-vous
But now a year has passed
And not a single word
And all the love she knew
Has disappeared out in the haze
Among the airs

Cambodia - Don't cry now

And now the years have passed
With not a single word
But there's only one thing left
I know for sure
She won't see his face again

Kim Wilde (1981)

mardi 16 mars 2010

A dormir debout

Il est déjà tard et j’ai fini par aller m’allonger, seulement armé du roman anglais que l’espiègle Laureline m’a prêté ce matin au petit-déjeuner.
- Je suis sûre que vous allez aimer, m’a-t-elle susurré à l’oreille, on y parle beaucoup d’insomnie.
- Merci mon ange, je le lirai dès cette nuit.
- Attention, ouvrage subversif ! Le sommeil n’est qu’une maladie !
Etendu sur le lit, je souris machinalement à la pensée de Laureline quittant prestement la pièce en sautillant comme une écolière facétieuse. Elle me fait songer parfois, je ne sais trop pourquoi, à une sorte d’Alice au pays des merveilles. Elle s’est certainement souvenue de mes confidences sur mes jeunes années d’adolescent myope où je tentais de consacrer la plus grande partie de mes nuits à l’étude, méprisant le sommeil comme une perte de temps.
De fait, ce roman met en scène une sorte de savant fou qui rêve de supprimer totalement le sommeil et accueille dans son étrange clinique un patient qui n’a pas dormi depuis douze ans, victime d’une espèce d’agrypnie jamais répertoriée dans les annales.
« Enorme, grise et imposante, la propriété d’Ashdown se dressait sur un promontoire, à une vingtaine de mètres de la falaise à pic, qu’elle surplombait depuis plus d’un siècle. Toute la journée, les mouettes tournoyaient autour de ses flèches et de ses tourelles, avec des gémissements stridents. Jour et nuit, les vagues se brisaient furieusement contre la paroi rocheuse, et résonnaient comme un grondement de camions dans les salles glaciales et le dédale de couloirs de la vieille bâtisse. »
Au milieu de la nuit, je m’assoupis.
…des bruits sourds dans le lointain, des bruits qui se rapprochent peu à peu, des portes qu’on ouvre, des coups assourdis, de plus en plus distincts, on tue, ce sont des coups de feu, des coups de feu qu’on entend à peine, on ouvre les portes des chambres une par une, puis on abat méthodiquement les occupants, médecins, malades, personne ne crie, cela va si vite, ils se rapprochent, c’est maintenant le tour de la chambre voisine…
Je m’éveille en nage, la lumière inonde encore ma chambre-bibliothèque et je perçois les bruits rassurants de la gare d’Austerlitz.

jeudi 11 mars 2010

Boris

Boris me raconte son admission dans ces lieux.
C’est un garçon intelligent, diplômé en informatique, mais victime d’une éducation un peu étriquée. Sa double culture devrait lui être un atout mais il est maladroit avec la vie, et il est sujet à des pensées suicidaires. C’est pour échapper à de telles idées qu’il échoua ici un vendredi soir, accueilli d’abord aux urgences par un médecin compatissant mais soucieux d’un protocole bien rôdé ; alors que Boris voulait avant tout échapper à ses idées mortifères, on insista pour qu’il précise le mode opératoire, les scénarios qu’il avait imaginés. On voulait évidemment évaluer son degré de dangerosité pour lui-même. Il dut aussi se remémorer d’éventuels antécédents et lorsqu’il évoqua un délire vécu à l’âge de vingt-cinq ans, l’infirmière qui était restée debout, figée derrière le médecin débonnaire, se raidit encore davantage.
Une série de faits divers mettant en scène des schizophrènes meurtriers et échappés des asiles avaient ces derniers temps défrayé la chronique, favorisé une politique plus sécuritaire et jeté sur le personnel médical un soupçon de laxisme et d’incompétence.
Boris sentit qu’on évaluait aussi son degré de dangerosité pour les autres. Malgré la bienveillance du médecin, il éprouva le sentiment déplaisant de se trouver face à un tribunal. Un sentiment qui allait se confirmer par la suite; le docteur Falgout qui allait le suivre le soupçonnerait de tendances violentes et n’aurait jamais d’entretien privé avec lui, même si ses questions étaient souvent embarrassantes. A chaque audience, une ou plusieurs femmes-médecins le scruteraient pendant qu’il s’efforcerait de répondre.
Ayant accepté l’hospitalisation, il dut patienter une heure dans une pièce surchauffée et qui ne s’ouvrait que de l’extérieur, sous la garde vigilante de l’infirmière suspicieuse, avant d’être évacué en fourgon sécurisé vers le bâtiment de la Force. On l’avait préalablement débarrassé de son portable, de ses pièces d’identité, on lui avait demandé de vider ses poches pour des raisons de sécurité, des vols dans l’hôpital lui avait-on dit, mais aussi probablement pour prévenir tout acte d’auto-agression. Alors que tordu par l'angoisse et le désir de suicide, il n'avait rien avalé depuis la veille, il dut mendier une pomme et du pain sec car il était arrivé après l'heure du repas.
C’est ainsi que l’institution acheva de lui faire perdre son identité, déjà mise à mal par sa lutte éprouvante contre la pulsion de mort dans les heures et jours qui avaient précédé.
Il me raconta sa solitude dans le fourgon, son arrivée dans le bâtiment lorsqu'il fut conduit jusqu'à sa chambre par une aide-soignante munie d'une lampe-torche.

samedi 6 mars 2010

Un vendredi soir




Le vendredi soir est toujours un moment particulier pour le petit groupe hétérogène que nous formons. Nous sommes régulièrement une petite dizaine à prolonger le diner et à nous attarder dans le réfectoire, peut-être en partie parce que certains nous quittent pour le week-end après le petit-déjeuner du lendemain.
Le rituel est particulièrement observé pendant les mois d’hiver, quand les fenêtres de la petite pièce qui donnent vers la Seine sont secouées par le vent et les intempéries et que nous éprouvons comme une sorte de satisfaction enfantine à nous sentir au chaud et protégés.
Protégés de quoi ? Beaucoup parmi nous n’ont guère à craindre que leurs démons intérieurs mais nous formons dans ces moments là, malgré nos différences évidentes, une sorte de communauté, soudée contre une obscure menace extérieure.
Une fois ingurgité le repas assez consistant mais toujours livré en barquettes sous cellophane, une fois la table débarrassée, nous continuons à discuter et plaisanter jusqu’à une heure avancée, avec la bienveillance des aides-soignants qui bravent les consignes de Falgout et oublient volontiers ce soir-là le couvre-feu. Pas la distribution des pilules et potions diverses.
Je suis invité à participer à un Trivial Pursuit avec trois autres pensionnaires; Jean-Marie, un jeune agrégé de philosophie jugé bipolaire, Fabrice, une sorte d’aventurier haut en couleurs à la Kessel, que son ex-femme ne cesse de harceler sur son portable, Nora, une jeune coiffeuse qui se joue régulièrement du règlement et accepte de nous coiffer « à domicile », c’est-à-dire dans nos chambres.
Laureline commente avec un autre pensionnaire une bande dessinée intitulée « Le secret de la micropuce cérébrale », une sombre histoire de schizophrène qui s’imagine qu’on lui a implanté une puce dans le cerveau pour mieux l’épier et le contrôler.
Boris s’est un peu isolé avec une Game Boy et tente de battre son record sur Tetris au son de la petite mélodie lancinante Korobushka. Une patiente prénommée Anne, longs cheveux blonds, peu bavarde et qui semble ravie, a posé sa tête sur son épaule.
Léonard, un septuagénaire qui n’a jamais travaillé, n’a cessé de voyager toute sa vie et court aux urgences quand l’angoisse est trop forte, a commencé une partie d’échecs avec Martin, un ancien guide de haute montagne qui a perdu une jambe.
Deux autres patients ont préféré se retrancher dans une pièce adjacente avec les aides-soignants pour regarder un épisode de Docteur House, une série médicale à la mode.
Je m’extirpe de cette atmosphère confinée et chaleureuse vers une heure du matin, après que Nora l’ait emporté au Trivial Pursuit.
Surprise et joie, une fois de retour dans ma chambre-bibliothèque, de retrouver Evelyne entre mes draps.

mercredi 3 mars 2010

Cinquième visite du professeur Falgout

"Au retour de nos vacances improvisées à Samarcande, c’est à peine si je me souvenais de mon escapade parisienne et je me remis au travail avec une ardeur renouvelée. Ce furent des mois puis des années de travail acharné à N. tout d’abord, puis très vite à Paris où, vous le savez, j’ai fait mes premières armes.
- Hum oui..
- Dans le même temps je commençai à publier des articles spécialisés dans différentes revues dédiées à la médecine, la psychiatrie, l’ethnopsychiatrie, en m’efforçant de promouvoir une approche globale de la maladie, une approche qui tienne compte du socius. Après les années passées à la Harvard Medical School au début des années 90, je nourris de plus en plus ma réflexion médicale de connaissances philosophiques, sociologiques, historiques. Je m'orientai de plus en plus vers la recherche transdisciplinaire.
De son côté Olivia termina ses études de médecine mais en parallèle s’initia au journalisme, ce qui lui permettait à la fois d’assouvir son goût du voyage et d’échapper à la pratique étriquée d’une discipline médicale. Elle devint tout naturellement journaliste scientifique et elle m’aida d’ailleurs dans la rédaction de mes premiers articles.
- Elle n’avait plus de raisons de s’inquiéter à votre sujet ?
- Je crois qu’elle n’a jamais pu chasser de son esprit ma rocambolesque escapade parisienne. Elle était très attentive, ne cessait de m’entraîner vers de nouvelles explorations géographiques ou intellectuelles. Elle m’incita même à faire du théâtre et elle m’aurait poussé à étudier le piano si mon activité professionnelle ne m’avait autant accaparé. Mais par-dessus tout, c’est elle qui m’encouragea à me dépasser et à étudier sans relâche. Elle avait le don de saisir les problématiques pertinentes et semblait toujours pouvoir aborder les questions les plus difficiles sous un angle neuf. Elle n’a pas été pour peu dans le succès de mes articles et de mes livres.
Mais il y avait autre chose chez elle qui a rendu toutes ces années ensemble tellement uniques, quelque chose que je ne peux pas saisir clairement, quelque chose en tout cas qui me rendait heureux.
- Vous n’avez pas eu d’enfant cependant ?
- Nous l’envisagions mais nos obligations professionnelles respectives le rendait difficile, nous remettions régulièrement à plus tard. Nous en discutions encore dans les jours qui ont précédé ce voyage en Argentine dont elle n’est jamais revenue.
- Que s’est-il passé ? Vous m’avez dit sans entrer dans les détails qu’elle avait tout simplement disparu.
- Elle se faisait une joie de participer à cette conférence à Buenos Aires sur les perspectives en neuro-informatique, elle m’en parlait depuis des mois et passait des heures à préparer l’intervention qu’elle devait y faire à propos de la récente et – disait-elle- prometteuse mise au point de circuits intégrés fonctionnant comme de véritables circuits neuronaux. Elle devait aussi y rencontrer un savant, un scientifique du nom de Luis Alcevedo, encore peu connu dans le champ des neurosciences mais qui, selon elle, devait lui faire d’importantes révélations.
Je me souviens encore de son rire, de ses plaisanteries au moment du départ. Comme je manifestai mon désir qu’elle ne s’attarde pas et me revienne vite – je le répétais à chacun de ses départs, au moins vingt fois par an- elle me taquina : « Allons, il est grand temps que tu apprennes un peu à te passer de moi ».
Une fois à Buenos Aires, elle me fit chaque soir par webcam le récit détaillé de ses journées. Elle semblait épuisée mais ravie. Le dernier soir, je lui demandai si elle avait rencontré son mystérieux professeur. « Son travail est réellement novateur, c’est incroyable, il a dix ans d’avance sur la recherche ». Malgré son exaltation, je ne pus en savoir davantage, elle m’en dirait beaucoup plus à son retour. A la fin, elle m’informa qu’elle restait une journée supplémentaire à Buenos Aires pour s’y livrer à quelques recherches complémentaires, manifestement en relation avec cette rencontre inespérée mais sur lesquelles je n’en saurai pas non plus beaucoup plus.
Le surlendemain, je l’attendis en vain à l’aéroport.
Lorsqu’il fut certain qu’elle avait disparu, je m’envolai pour Buenos Aires afin de tenter de la retrouver. Je pris contact avec des amis communs universitaires qui résidaient près de la Playa de Mayo et avec qui elle avait pris son dernier petit déjeuner. Ils me dirent qu’elle avait prévu de prolonger d’une journée son séjour pour faire quelques visites et se rendre à la Bibliothèque Nationale. Ils devaient dîner ensemble le soir venu et devaient se retrouver sur l’avenue Corrientes. Elle leur avait paru un peu agitée, et derrière un calme apparent, vouloir contenir à grand-peine une sorte d’exaltation. Elle leur avait raconté avec passion ses quelques jours de séminaire et parlé avec enthousiasme de « processus interractionnels » , de « révolution 3D », de « neuros-connexions », notions assez mystérieuses pour nos deux amis, davantage spécialisés en histoire littéraire.
D’après les recoupements qui purent être réalisés par les autorités locales, la Bibliothèque Nationale semble le dernier lieu connu qu’elle ait fréquenté. Elle y était entrée vers 16 heures, avait dû faire valoir ses titres pour obtenir l’autorisation de consulter un ouvrage ancien, un traité sur les labyrinthes datant du dix-huitième siècle, et elle n’était jamais ressortie, en tout cas officiellement, comme l’attesta par la suite une employée de la Bibliothèque qui déclara avoir elle-même retrouvé le livre encore ouvert sur une des tables de consultation. Il va de soi que l’immense Bibliothèque fut fouillée en totalité, sans succès.
Malgré l’aide de mes amis qui me servaient d’intermédiaires avec les autochtones, Il me fut impossible de savoir ce qu’elle avait bien pu faire pendant les heures précédentes.
Je contactai aussi le plus grand nombre possible des participants au séminaire dont je connaissais certains mais qui ne purent pas m’aider autrement qu’en louant ses qualités professionnelles et ses interventions. Ils me confirmèrent tous ne pas connaître de Luis Alcevedo mais l’avoir vue s’entretenir avec passion avec un concepteur de jeux video très connu, invité en marge de la conférence mais dont elle semblait faire grand cas. Se pouvait-il que, facétie bien dans son style et pour éviter mes questions, elle ait requalifié à mon intention un concepteur de jeux pour ados en chercheur de haute volée ?
Les autorités locales qui avaient passé en revue toutes les hypothèses, y compris la fugue adultérine, baissèrent bientôt les bras, et tout en faisant mine de poursuivre l’enquête, me laissèrent bientôt à mon désarroi.
Prostré toute la journée dans ma chambre d’hôtel, je ne sortai que le soir pour errer sur l’avenue Corrientes ou bien m’oublier dans les bars des rues adjacentes.
Etait-ce l’atmosphère ou l’ambiance de fête qui règne dans ces régions à cette période de l’année – nous étions en décembre et c’était l’été – quelque chose comme une sorte de sérénité m’habita à nouveau ; par une sorte de paradoxe, je percevais dans la nature même de la disparition d’Olivia, dont j’ignorais si elle était vivante ou morte, un message d’espoir, une injonction à aller de l’avant. Je devais me remettre au travail.
Après un mois dans la capitale argentine, je regagnai Paris."