jeudi 11 mars 2010

Boris

Boris me raconte son admission dans ces lieux.
C’est un garçon intelligent, diplômé en informatique, mais victime d’une éducation un peu étriquée. Sa double culture devrait lui être un atout mais il est maladroit avec la vie, et il est sujet à des pensées suicidaires. C’est pour échapper à de telles idées qu’il échoua ici un vendredi soir, accueilli d’abord aux urgences par un médecin compatissant mais soucieux d’un protocole bien rôdé ; alors que Boris voulait avant tout échapper à ses idées mortifères, on insista pour qu’il précise le mode opératoire, les scénarios qu’il avait imaginés. On voulait évidemment évaluer son degré de dangerosité pour lui-même. Il dut aussi se remémorer d’éventuels antécédents et lorsqu’il évoqua un délire vécu à l’âge de vingt-cinq ans, l’infirmière qui était restée debout, figée derrière le médecin débonnaire, se raidit encore davantage.
Une série de faits divers mettant en scène des schizophrènes meurtriers et échappés des asiles avaient ces derniers temps défrayé la chronique, favorisé une politique plus sécuritaire et jeté sur le personnel médical un soupçon de laxisme et d’incompétence.
Boris sentit qu’on évaluait aussi son degré de dangerosité pour les autres. Malgré la bienveillance du médecin, il éprouva le sentiment déplaisant de se trouver face à un tribunal. Un sentiment qui allait se confirmer par la suite; le docteur Falgout qui allait le suivre le soupçonnerait de tendances violentes et n’aurait jamais d’entretien privé avec lui, même si ses questions étaient souvent embarrassantes. A chaque audience, une ou plusieurs femmes-médecins le scruteraient pendant qu’il s’efforcerait de répondre.
Ayant accepté l’hospitalisation, il dut patienter une heure dans une pièce surchauffée et qui ne s’ouvrait que de l’extérieur, sous la garde vigilante de l’infirmière suspicieuse, avant d’être évacué en fourgon sécurisé vers le bâtiment de la Force. On l’avait préalablement débarrassé de son portable, de ses pièces d’identité, on lui avait demandé de vider ses poches pour des raisons de sécurité, des vols dans l’hôpital lui avait-on dit, mais aussi probablement pour prévenir tout acte d’auto-agression. Alors que tordu par l'angoisse et le désir de suicide, il n'avait rien avalé depuis la veille, il dut mendier une pomme et du pain sec car il était arrivé après l'heure du repas.
C’est ainsi que l’institution acheva de lui faire perdre son identité, déjà mise à mal par sa lutte éprouvante contre la pulsion de mort dans les heures et jours qui avaient précédé.
Il me raconta sa solitude dans le fourgon, son arrivée dans le bâtiment lorsqu'il fut conduit jusqu'à sa chambre par une aide-soignante munie d'une lampe-torche.

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