lundi 26 avril 2010
Septième visite du professeur Falgout
mercredi 21 avril 2010
Richard
Il était encore tôt ce matin quand il est entré sans que je m’en aperçoive. Il m’a surpris en train de rêvasser dans mon fauteuil sur une reproduction de la « Main tenant un miroir sphérique » de M.C. Escher. Le parfum d’Evelyne flottait dans la pièce et retenait encore un peu la nuit.
Et tout à coup, il est là, face à moi.
« Vous pourriez tout de même frapper !
- Excusez-moi de vous déranger, j’ai frappé plusieurs fois et puis j’ai cru entendre … mais je ne veux pas vous importuner, je reviendrai si vous préférez… j’étais venu vous emprunter quelques livres car je crois savoir que votre bibliothèque…mais on ne m’a pas trompé, votre bibliothèque est impressionnante…
- Eh bien faites donc, choisissez un livre, ensuite vous prendrez un peu de café, j’en ai préparé, vous en prendrez bien, même si vous avez pris votre petit déjeuner ?
Je dis cela très vite, trop vite, mis mal à l’aise par cette apparition soudaine.
Depuis son arrivée fin mars, j’ai eu plusieurs fois l’occasion de discuter avec lui mais je ne me suis jamais senti à l’aise avec ce personnage capable de rester silencieux pendant des heures, ou bien qui me regarde soudain, l’air absent mais en même temps profond, un peu comme s’il était capable de lire en moi. Autant ai-je pu, dans les premiers jours, converser avec lui de manière à peu près détendue, autant ai-je ensuite peu à peu préféré éviter sa compagnie.
Il se comporte en effet avec moi de façon de plus en plus familière, un peu comme si nous avions en commun un vieux secret honteux à cacher et dont il pourrait plaisanter avec moi en aparté, à moins peut-être qu’il ne lui serve à me faire chanter. Bref, il me répugne de plus en plus.
Mon invitation en est d’autant plus incompréhensible et je la regrette aussitôt.
Paralysé au fond de mon fauteuil, je l’observe qui flâne au milieu de mes livres ; il s’empare un instant d’un exemplaire de La Montagne magique de Thomas Mann, s’attarde un peu sur le Récit d’un voyage à pied à travers la Russie de J. D. Cochrane, semble vouloir porter son choix sur Flatland, cette curiosité de E. Abbott Abbott, avant de se saisir du Mystère de la chambre jaune de G. Leroux.
- Hum, vous renouez avec vos lectures d’adolescence ?
- Exactement, j’ai la nostalgie de cette époque où tout me paraissait au fond assez simple et où le monde pouvait livrer tous ses secrets pour peu qu’on l’interrogeât par le bon bout de la raison !
Je verse le café et il s installe dans l’autre fauteuil, à ma gauche.
Je fais mine de m’intéresser à son état, je lui demande s’il se sent mieux, il m’ avoue que son séjour en ces lieux ne lui apporte que peu de réconfort et qu’il sent en lui trop d’angoisse et de douloureuses contradictions. Il ajoute avec un sourire :
- Falgout, pour être psychiatre, a oublié d’être psychologue, il me traite comme un délinquant en puissance, comme si je devais me sentir coupable de souffrir.
- Peut-être cherche-t-il à vous bousculer un peu afin de glaner des éléments que vous lui cachez et qui pourraient l’aider à vous soigner…
- Vous rigolez, je suis sûr que vous feriez un meilleur thérapeute que lui … Savez-vous ce que les autres pensionnaires racontent d’ailleurs à votre sujet ?
- ?
- Vous ne seriez pas vraiment malade, vous êtes là pour étudier les mabouls…
- Tiens donc…et dans quel but ferais-je ça ?
- Que sais-je… vous êtes psy et c’est dans un but thérapeutique, pour améliorer votre pratique en quelque sorte, ou bien vous êtes sociologue, vous voulez écrire un bouquin. Certains prétendent que vous avez obtenu l’accord du grand ponte, le chef du service neuro, Olivier Dupuy-Servat, celui qu’on ne verra jamais car il passe son temps dans les séminaires et les medias.
Il ajoute avec une ironie inquisitrice :
- Ce serait tout de même marrant que vous soyez pote avec lui et qu’il vous ait aidé à monter un dossier psy bidon pour vous faire admettre ici.
Un silence, puis goguenard :
- Gaffe quand même, vous pourriez ressortir vraiment malade… Je suis sûr que Falgout vous a collé depuis longtemps un diagnostic sur-mesure dont vous aurez du mal à vous dépêtrer. .. Mais, au fait, c’est un vrai médecin, Falgout ? Vous êtes certain qu’il ne se balade pas dans le service en se prenant pour un psychiatre …et en nous prenant pour des demeurés ?
- Vous oubliez son bureau…et puis aussi les « Falgout girls ».
Il se calme, prend tout à coup un air songeur et me considère avec gravité. Puis il dit comme sans y penser :
- Ah oui…bien sûr…vous avez raison…
Un silence. Je l’interpelle à mon tour :
- Et vous-même, êtes vous réellement malade ?
Un autre silence. Puis il lâche, sur un ton monocorde :
- Ce qui est certain, c’est que je souffre… ils ont fini par m’avoir…c’est comme si je m’étais trop longtemps exposé aux radiations…ça a l’air ridicule, je suis un homme ridicule, mais c’est cette vie de bureaucrate stupide qui m’a tué, qui m’a vidé…vous ne pouvez pas savoir…entre les murs des bureaux, il se passe des horreurs, des humiliations, des trucs dont on n’a pas idée…quand on est un peu fragile, disons quand on a une sensibilité au départ, si on n’arrive pas à s’extirper, à se défendre, à masquer sa nature, on est broyé…forcément…on utilise les autres pour s’enfoncer, se marginaliser encore plus, on n’en a même pas conscience, ça vient tout doucement, par petites touches…du grand art, croyez-moi…vous pouvez vous illusionner pendant longtemps, penser que vous allez réussir à trouver quelque chose, quelqu’un, que vous allez pouvoir fonctionner autrement…mais au fond de vous il y a cette pathologie qui guette, sournoise, et qui vous attend au tournant, et qui frappe quand vous ne vous y attendez pas…et puis les autres, les collègues, à ce moment là, ils sont sa meilleure alliée…ah les salauds…je pourrais vous en conter sur les « dynamiques » de groupe comme ils disent…comment les autres projettent sur vous à ce moment-là leurs pires défauts…pour que vous vous en chargiez, de leurs vilenies, de leurs scélératesses… j’en sais un bout sur le sujet…j’ai vu de près leurs sales figures dans ces moments-là privilégiés…leurs petitesses…la façon dont ils essuyaient sur moi leurs pieds dégueulasses comme sur un paillasson vivant…de quoi en écrire des livres et des encyclopédies…et sûrs de leur bon droit avec ça, ne soupçonnant même pas ce qu’ils font, sans la moindre conscience de l’horreur qu’ils engendrent…
Il lève à nouveau les yeux vers moi :
- Il y a une phrase qui me trotte souvent dans la tête, vous la trouverez peut-être sans rapport… Elle dit ceci : l’action et la parole engendrent des histoires dont nul ne peut se dire l’auteur et qui connaissent parfois ou souvent un dénouement tragique.
Je crois que c’est un type d’aujourd’hui qui a écrit ça, je ne sais plus trop son nom, un type qu’on ne voit pas trop dans les medias, un philosophe comme ils disent, un type pas bien sérieux quoi…
A nouveau un silence, puis il reprend, presque jovial :
- Ah, mais ne vous inquiétez pas trop pour moi, je sais quand même me défendre allez…je peux même vous avouer, puisque j’en suis au déballage, autant être dans la franchise jusqu’au bout…ils ont eu de la chance mes collègues…oui, de la chance…ils ont bien failli y passer tous autant qu’ils sont…et la plupart n’auraient pas manqué à grand monde, croyez-moi…ça aurait juste fait un beau fait divers…bien dans dans le ton de notre époque…certains d’entre eux qui croient avoir une vie, ils l’auraient terminée en beauté leur merdeuse existence, c’est moi qui vous le dit, magnifiée qu’elle aurait été par l’émotion médiatique et les sérénades dégoulinantes de la compassion…finalement je ne l’ai pas utilisé mon Smith et Wesson…me suis retenu au bon moment…le dieu du carnage m’a lâché juste à temps…je suis resté un bon garçon finalement…même si j’ai vraiment cru, l’espace d’un instant que j’allais tirer…heureusement j’avais pas eu l’idée d’emporter le pistolet automatique…avec celui-là, c’était cuit, on n’a pas besoin de réfléchir, ça part tout seul…
Il ne terminera pas son café qui est maintenant froid.
Il me remercie encore pour le livre, je le salue, un peu groggy, en espérant vaguement que ses retrouvailles avec Rouletabille le distrairont quelques heures de lui-même.
Quand la porte se referme sur lui, je me rends compte que j’ai la chair de poule.
lundi 19 avril 2010
Interactions
A Falgout qui me demande une définition de la folie, je lui réponds que, pour moi, c’est une vieille femme effrayante et convulsive qui se met à imiter dans la rue tous les passants qu’elle croise.
En fait, elle ne se contente pas de les imiter, elle les caricature. Oliver Sachs raconte :
« Chaque imitation était aussi un pastiche, une moquerie, une exagération en elle-même tout aussi convulsive qu’intentionnelle, et résultant des violentes accélérations et distorsions de tous ses mouvements. Un léger sourire était sur-le-champ traduit en une féroce grimace d’un millième de secondes, un geste large devenait un mouvement convulsif grotesque. Sur la longueur d’un petit pâté de maisons, cette vieille femme forcenée caricatura frénétiquement les traits de quarante à cinquante personnes, en des imitations kaléidoscopiques rapides comme l’éclair d’une ou deux secondes, l’ensemble de ces scènes vertigineuses durant à peine deux minutes.
Il y avait aussi des imitations au second et au troisième degré car les passants, effrayés, outragés, ahuris, adoptaient en retour ses expressions, lesquelles étaient à nouveau réfléchies, renvoyées, redéformées par le tourettisme, ce qui avait pour effet d’accroître encore le choc et l’indignation.
Cette résonance grotesque, cette réciprocité par laquelle chacun était entraîné dans une interaction qui s’amplifiait de façon absurde, était la source du tumulte que j’avais aperçu de loin.
Cette femme aux mille visages, en prenant l’apparence de tout le monde, finissait cependant par n’être plus personne(...)
Soudain la vieille femme tourna dans une rue adjacente. Et là, désespérément, donnant l’impression d’être violemment malade, elle expulsa, à une vitesse vertigineuse, un bref raccourci de tous les gestes, toutes les postures et expressions des cinquante personnes qu’elle venait de dépasser dans la rue. C’est ainsi qu’en une monstrueuse régurgitation mimétique d’une dizaine de secondes, elle vomit les identités de tous les passants qui l’avaient habitée. »
jeudi 15 avril 2010
Sweet Fanta Diallo
Sweet sweet Fanta Diallo
ouh! ouh! Fanta Diallo
FANTA walking on the rainbow now!
FANTA shivering in moon light waves
FANTA hogging on the mountain top
FANTA kissing me on the burning rock
Sweet sweet Fanta Diallo
ouh! ouh! Fanta Diallo
One day, one day Fanta flee away
with the sun
one day, one day, Fanta ,melt away
under the sun
one day, Fanta flee away
with the sun
over and over I guess
she melt away under the sun
again and again
I keep on wondering
where she's gone
the last time I saw her,
psychiatric hospital
Now I know that I did you wrong
Yes I love you rainbow
And I love you rainbow ray
please help me rainbow
you got to lead me rainbow
Alpha Blondy, Sweet Fanta Diallo (1987)
lundi 12 avril 2010
Perceval le fou
Jamais à court de bonnes lectures, Laureline brandit le livre qu’elle est sur le point de terminer et qu’elle a déniché dans ma bibliothèque. Il s’agit du récit autobiographique de John Perceval.
John Perceval était le cinquième fils d’un premier ministre d’Angleterre qui mourut assassiné. Il devint fou vers la fin de l’année 1830 et fut interné dans différents hôpitaux jusqu’en 1834. Travaillé par des questions religieuses, il était sujet à des hallucinations visuelles et auditives ; il devait obéir à des voix dont il apprit peu à peu à se libérer, notamment parce qu’elles étaient inconstantes et lui donnaient des ordres parfois contradictoires. Ces voix très souvent punitives jouaient sur un sentiment puissant de culpabilité et un excès de scrupules.
Dans son témoignage détaillé, le récit de sa folie laisse très vite la place à des griefs contre sa famille et contre l’institution psychiatrique de l’époque qui ont selon lui contribué à le maintenir dans un état de déréliction ayant aggravé son état. Il se plaint longuement de l’attitude des médecins et des « domestiques » (aides-soignants) à qui il eut affaire dans ces institutions qui étaient tout de même les meilleures de l’époque.
On se dit que les choses n’ont guère changé même si les neuroleptiques ont remplacé la camisole et les bains froids. Les traitements d’aujourd’hui, comme ceux d’hier, conduisent toujours à réduire le sens de la responsabilité du malade, émousser le sentiment qu’il a de sa propre valeur. On rudoie de moins en moins les malades mais on les infantilise toujours. La perte de l’identité est une des pires expériences qui soient et l’hospitalisation continue à y contribuer activement.
- un des points intéressants à propos de son cas, me glisse Laureline tout sourire, c’est qu’il est bel et bien parvenu à guérir. En tout cas il y a eu certainement rémission. Du coup, ses jérémiades permanentes m’agacent, il ne cesse de faire le compte mesquin de toutes les avanies qu’il a eu à subir alors qu’il devrait passer à autre chose, se contenter de vivre à plein. En même temps, je comprends qu’il éprouve le besoin d’expliquer tout cela, de se libérer.
Je réponds, pas très inspiré :
- L’amour-propre nous fait souvent perdre beaucoup de temps
Sans m’écouter, Laureline poursuit ses réflexions :
- Je suis persuadée que ce qu’on appelle la santé mentale de la majorité se nourrit de la folie de quelques-uns. La raison des uns a besoin de la folie des autres. Ce qu’il dit sur la manière dont l’institution le maintient dans sa folie, il devrait l’analyser à plusieurs niveaux.