mardi 16 mars 2010

A dormir debout

Il est déjà tard et j’ai fini par aller m’allonger, seulement armé du roman anglais que l’espiègle Laureline m’a prêté ce matin au petit-déjeuner.
- Je suis sûre que vous allez aimer, m’a-t-elle susurré à l’oreille, on y parle beaucoup d’insomnie.
- Merci mon ange, je le lirai dès cette nuit.
- Attention, ouvrage subversif ! Le sommeil n’est qu’une maladie !
Etendu sur le lit, je souris machinalement à la pensée de Laureline quittant prestement la pièce en sautillant comme une écolière facétieuse. Elle me fait songer parfois, je ne sais trop pourquoi, à une sorte d’Alice au pays des merveilles. Elle s’est certainement souvenue de mes confidences sur mes jeunes années d’adolescent myope où je tentais de consacrer la plus grande partie de mes nuits à l’étude, méprisant le sommeil comme une perte de temps.
De fait, ce roman met en scène une sorte de savant fou qui rêve de supprimer totalement le sommeil et accueille dans son étrange clinique un patient qui n’a pas dormi depuis douze ans, victime d’une espèce d’agrypnie jamais répertoriée dans les annales.
« Enorme, grise et imposante, la propriété d’Ashdown se dressait sur un promontoire, à une vingtaine de mètres de la falaise à pic, qu’elle surplombait depuis plus d’un siècle. Toute la journée, les mouettes tournoyaient autour de ses flèches et de ses tourelles, avec des gémissements stridents. Jour et nuit, les vagues se brisaient furieusement contre la paroi rocheuse, et résonnaient comme un grondement de camions dans les salles glaciales et le dédale de couloirs de la vieille bâtisse. »
Au milieu de la nuit, je m’assoupis.
…des bruits sourds dans le lointain, des bruits qui se rapprochent peu à peu, des portes qu’on ouvre, des coups assourdis, de plus en plus distincts, on tue, ce sont des coups de feu, des coups de feu qu’on entend à peine, on ouvre les portes des chambres une par une, puis on abat méthodiquement les occupants, médecins, malades, personne ne crie, cela va si vite, ils se rapprochent, c’est maintenant le tour de la chambre voisine…
Je m’éveille en nage, la lumière inonde encore ma chambre-bibliothèque et je perçois les bruits rassurants de la gare d’Austerlitz.

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