mardi 16 février 2010

Quatrième visite du professeur Falgout

« Après l’épisode singulier du téléphone, êtes-vous cette fois enfin rentré chez vous ?
- J’ai pris le premier train pour N…
- Vous… Etiez-vous impatient de vérifier que… ?
- Que l’appartement était inoccupé ? J’appréhendais qu’il ne le soit pas sans oser le croire vraiment. Coïncidence, à mon retour, Olivia était déjà là qui venait de rentrer d’Italie le matin même. Elle s’étonna bien sûr de ma longue absence d’autant qu’elle avait cherché à me joindre dans tous les endroits où j'aurais pu me rendre. Malgré sa nature joviale, mes fumeuses explications – j’improvisai un ami parisien en détresse qui avait eu brusquement besoin de mon aide – la laissèrent perplexe et un peu en colère. De plus, si l’état dans lequel j’étais resté plongé pendant plusieurs semaines s’estompait peu à peu, j’étais bien sûr très perturbé par ce que je venais de vivre. Je m’intéressai à peine à son séjour italien sinon de manière très formelle. Il était visible qu’elle en était attristée mais j’étais épuisé. Cette nuit là, je dormis douze heures d’affilée.
- Lui avez-vous par la suite raconté ce qui vous était arrivé ?
- Durant les jours qui suivirent, Olivia se montra particulièrement prévenante. A mon désarroi, car je souhaitais le lui cacher, elle avait compris que quelque chose n’allait pas. Elle se montra si insistante que je finis par tout lui avouer de mon épopée parisienne . A la fin de mon récit, elle garda le silence pendant une longue minute, son profond regard brun posé sur moi disait son étonnement, son inquiétude, son amusement aussi. Elle éclata tout à coup d’un rire cristallin auquel le mien fit immédiatement écho. Ai-je vraiment réalisé à cet instant la chance que j’avais d’avoir à mes côtés cette jeune femme? Après une longue séance de fou rire, elle redevint tout à coup plus sérieuse et tout en ne se départissant pas d’une certaine sérénité joyeuse, elle me tint de doctes propos que je résumerais ainsi:
Tu es certainement en danger. Cette crise en annonce d’autres qui prendront probablement des formes différentes et seront peut-être très espacées dans le temps. Il y a sans doute quelque chose dans ta manière d’être, ton comportement général, dans ta relation aux autres y compris dans ses aspects les plus subtils, ses composantes les plus infimes, quelque chose qui a au fil du temps créé une sorte d’écart pathologique avec ce que tu devrais être. En provoquant ce séisme intérieur, ton système nerveux sanctionne en quelque sorte cet écart en donnant la parole à cette part de toi-même qui étouffe. Ce faisant, il accroît encore la pathologie, infléchit ton comportement en ce sens et prépare les futures crises jusqu’à peut-être des régressions irréversibles. Tes chances d’échapper totalement à ce processus sont probablement nulles mais tu peux en atténuer au maximum les effets. Notre relation a dû d’ailleurs déjà jouer ce rôle. Mais tu dois apprendre très vite à agir différemment sur le monde et acquérir de nouvelles habiletés.
Sans me laisser l’interrompre, Olivia se mit alors à me donner des conseils, des sortes de prescriptions de vie, certaines assez prévisibles qui ressemblaient au fond à ce que nous faisions déjà au quotidien, et puis d’autres si surprenantes, si extraordinaires, si inattendues que je me demandai d’où elle pouvait bien tenir une inspiration qui semblait puiser à toutes les sources d’expériences et m’entrouvrait la porte d’univers inconnus. Muet de surprise et presque intimidé, je me demandai un instant dans quelle mesure je la connaissais vraiment. Je fus presque autant déstabilisé par ses propos que par ma dérive parisienne et c’était probablement l’effet recherché.
Elle ne me laissa d’ailleurs pas le temps de me reprendre car nous nous mîmes sur-le-champ à préparer un voyage improvisé à Samarcande, préparatifs compliqués et voyage étonnant là aussi qu’il me faudra un jour raconter... »

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